Examen périodique universel de la Mauritanie : rapport au Conseil des droits de l'homme des Nations unies
Introduction
Dans cette soumission, MENA Rights Group et l’Alliance des Orphelins Mauritaniens met en lumière les principales préoccupations en matière de droits humains en Mauritanie dans le cadre de son quatrième Examen périodique universel (EPU). Le rapport s’articule autour de trois axes principaux : (1) les restrictions persistantes à la liberté d’opinion et d’expression, notamment à travers l’utilisation de dispositions juridiques vagues et excessives pour réprimer la dissidence ; (2) l’absence de responsabilité pour les graves violations des droits humains commises durant le « Passif humanitaire », en raison notamment de la loi d’amnistie de 1993 qui entretient un climat d’impunité ; et (3) le recours à une législation antiterroriste qui porte atteinte aux garanties fondamentales et expose les individus à la détention arbitraire et aux mauvais traitements.
2. Droit à la liberté d'opinion et d'expression
Lors du dernier EPU, la Mauritanie a accepté certaines recommandations relatives à la liberté d’expression[1], tout en notant d’autres portants sur la liberté de conscience et de religion[2].
Un certain nombre de dispositions législatives fixent des limites excessives au contenu des discours[3], notamment dans la loi relative à l’incrimination de la discrimination[4], la loi sur la cybercriminalité[5], la loi relative à la lutte contre le terrorisme (voir infra) et la loi sur la liberté de la presse.
Suite à l’adoption de la loi n° 2011-054 modifiant l’Ordonnance sur la liberté de la presse n°2006-017, plusieurs délits de presse ont été dépénalisés comme la calomnie et la diffamation, vis-à-vis de chefs d’État et d’ambassadeurs. Néanmoins, ladite Ordonnance comporte toujours des dispositions formulées en des termes vagues dont certaines comportent des peines de prison et qui n’ont toujours pas fait l’objet d’un réexamen législatif[6].
Dans le même temps, bien que le délit de presse ait été dépénalisé, le Code pénal continue de criminaliser des activités liées à l’exercice de la liberté d’expression, telles que l’apostasie, le blasphème ̶ l’article 306 du Code pénal a été amendé en 2018 afin de rendre obligatoire la peine de mort pour ces deux crimes, ̶ ou la diffamation.
Pendant la période d'analyse, les autorités ont adopté plusieurs textes de loi préjudiciables pour la liberté d'expression.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le 24 juin 2020, l’Assemblée nationale a approuvé une nouvelle loi sur la publication de « fausses informations »[7] lequel comporte une définition de la « fausse nouvelles » vague et ambigüe et prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à un an de prison pour « diffusion par internet des informations fallacieuses ou fausses » et jusqu’à quatre ans d’emprisonnement la diffusion d’une fausse nouvelle de nature à fausser le scrutin en période électorale.
La Rapporteuse spéciale sur la liberté d'opinion et d'expression a estimé en août 2020 que le texte pouvait permettre aux autorités de « restreindre la liberté d’expression sur le fondement de critères vagues et sujet à une interprétation arbitraire[8]. »
Le 9 novembre 2021, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi tout autant controversé portant protection des symboles nationaux et l'incrimination des atteintes à l’autorité de l’État et à l’honneur du citoyen[9].
La plupart des dispositions de la loi contredisent les normes internationales régissant la liberté d'expression. Par exemple, les actes portant atteinte aux valeurs constantes et aux principes sacrés de l'islam, à l'unité nationale, à l'intégrité territoriale, ou insultant le Président de la République, le drapeau et l'hymne national, notamment à travers les réseaux sociaux, sont passibles de deux à quatre ans d’emprisonnement. Tout aussi préoccupant, la publication de contenus « portant atteinte au moral des forces armées et de sécurité ou susceptibles de déstabiliser leur loyauté envers la République » est punie d'une peine d'un à trois ans de prison[10].
Le 5 mars 2022, les autorités ont empêché le groupe de rap Diam Min Tekky d’organiser une représentation pour lancer leur album « 30 ans » qui évoquait le massacre d’Inal et de manière générale l’impunité entourant les violations commises lors du Passif humanitaire (voir infra)[11].
Enfin, il convient de noter que les autorités ont à nouveau coupé les connexions Internet mobiles pendant 22 jours en juillet 2024, dans un contexte de contestation de l’annonce le 1er juillet de la victoire, dès le premier tour, de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à la présidentielle[12]. Une telle mesure avait été prise suite à la précédente élection présidentielle de 2019 ainsi que, dans un autre contexte, lors des examens du baccalauréat en juin 2023[13].
Recommandations:
Réformer le Code pénal et les autres législations contenant des infractions définies en termes vagues afin de mettre fin à la criminalisation des actes d’expression pacifique conformément à l’article 19 PIDCP ;
Maintenir l’accès à internet en période électorale et lors des sessions d’examens de fin d'études.
3. Droit à la vérité et lutte contre l’impunité
Entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990, durant la période communément désignée « Passif humanitaire », de larges pans de la minorité afro-mauritanienne ont été soumis à des exécutions sommaires, des tortures, des expulsions vers le Sénégal et le Mali, des expropriations de terres en dehors de tout cadre légal, ainsi que des discriminations.
Entre octobre 1990 et mi-janvier 1991, les autorités ont arrêté, en dehors de tout cadre légal, environ 3’000 Afro-mauritaniens dont la plupart étaient des militaires. Selon les estimations, entre 500 et 600 d’entre eux ont été victimes d’exécutions sommaires précédées de torture et de détention au secret. Point culminant de cette répression, dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, date de l’indépendance du pays, 28 militaires afro-mauritaniens ont été pendus dans la garnison de Inal.
Parmi les responsables de ces violations figurent les plus hauts niveaux de la hiérarchie militaire, y compris plusieurs membres du Comité militaire de salut national (CMSN), qui auraient personnellement participé aux tortures et aux exécutions[14].
Des informations sur ces exactions ont commencé à être divulguées en mars 1991 lors des premières libérations de prisonniers suite à l’entrée en vigueur d'une grâce présidentielle.
Les autorités ont promulgué en 1993 la loi n° 93-23 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour toutes les infractions qu’elles auraient pu commettre dans le cadre de l’exercice de leur fonction entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992. Le texte précise que « toute plainte, tout procès-verbal et tout document d’enquête relatifs à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie sera classé sans suite ».
À la suite du dernier EPU, la Mauritanie a refusé de mettre en œuvre une recommandation de la Belgique appelant la Mauritanie à «prendre les mesures nécessaires pour abroger la loi n° 93-23 (1993) sur l’amnistie et établir un mécanisme indépendant chargé de la justice et de la réconciliation, doté du pouvoir de mener des enquêtes sur des crimes passés »[15].
Plusieurs hauts responsables militaires impliqués dans les crimes commis lors du Passif humanitaire sont restés en service après ces événements et occupent aujourd’hui des postes à responsabilité, à l’image de Ely Zayed Ould M’Bareck qui a été pressenti pour diriger « Bangui Joint Task Force » de la MINUSCA avant d’être rappelé en Mauritanie[16], ou encore, Mohamed Ould Meguett, qui a été élu président de l’Assemblée nationale le 19 juin 2023[17].
Le Comité des disparitions forcées s’est récemment dit « préoccupé par la loi n° 93-23 du 14 juin 1993, qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour les crimes commis pendant la période du Passif humanitaire, en ce qu’elle pourrait s’appliquer aux crimes de disparition forcée[18]» et « par les allégations reçues selon lesquelles des personnes soupçonnées d’être auteures de violations graves des droits humains, y compris des disparitions forcées pendant la période du passif humanitaire, occuperaient des fonctions publiques dans l’État partie, ce qui a pour effet d’entretenir un climat d’impunité»[19].
Recommandations:
Abroger la loi d’amnistie de 1993 ;
Créer une Commission de vérité et de réconciliation indépendante chargée d’établir les faits en enquêtant sur l’ensemble des atteintes aux droits humains commis durant le Passif humanitaire.
4. Droits humains et lutte antiterroriste
Lors du dernier EPU, seul le Chad avait adressé une recommandation pourtant sur la révision de l’article 3 de la loi n° 2010-035 relative à la lutte contre le terrorisme pour le rendre pleinement conforme aux normes internationales[20]. Nous regrettons que cette recommandation ait été simplement notée car la Mauritanie.
En effet, cette disposition comporte une définition particulièrement imprécise du terrorisme qui inclut notamment le fait de « pervertir les valeurs fondamentales de la société et déstabiliser les structures et/ou institutions constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales de la Nation ».
Enfin, alors que le Code de procédure pénale prévoit une durée légale de garde à vue de 48 heures renouvelables une fois sur autorisation du procureur, les personnes accusées de terrorisme peuvent être placées en garde à vue pendant 45 jours, sans être présentées à un juge et sans avoir accès à une assistance judiciaire. Ce type de régime expose les personnes accusées à un risque élevé de torture ou de mauvais traitements[21].
Bien que la loi n° 2015-033 relative à la lutte contre la torture consacre toutes les garanties fondamentales dès l’instant où intervient la privation de liberté, le Comité des disparitions forcées a regretté lors de l’examen initial de la Mauritanie que « les dispositions relatives au régime de la garde à vue du Code de procédure pénale ainsi que des lois relatives au terrorisme, à la corruption et aux stupéfiants sont appliquées prioritairement[22]. »
Recommandations:
Veiller à ce que les garanties procédurales prévues par la loi contre la torture soient sans discrimination à toute personne privée de liberté ;
Assurer le droit d’avoir accès à un conseil dès le moment de l’arrestation ;
Amender la loi antiterroriste de 2010 afin d’en assurer la conformité avec les principes et garanties prévues par le droit international.
[1] Recommandations ayant recueilli l’appui de la Mauritanie : 130.120 (Nouvelle-Zélande) ; 130.121 (Oman).
[2] Recommandations n’ayant pas recueilli l’appui de la Mauritanie : 130.124 (Saint-Siège) ; 130.127 (Argentine)
[3] Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le deuxième rapport périodique de la Mauritanie, 19 juillet 2019, UN Doc. CCPR/C/MRT/CO/2, § 42.
[4] La loi de 2018 relative à la discrimination prévoit que « [q]uiconque encourage l'incitation à la haine contre la doctrine officielle de la République islamique de Mauritanie sera puni d'un emprisonnement de 1 à 5 ans. »
[5] Par exemple, l’article 21 de la loi n° 2016-007 portant sur les infractions portant atteintes aux valeurs morales et aux bonnes mœurs prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 ouguiyas [1 160 euros environ] d’amende « quiconque aura intentionnellement, créé, enregistré, mis à disposition, transmis ou diffusé par le biais d’un système d’information, un message texte, une image, un son ou toute autre forme de représentation audio ou visuelle qui porte atteinte aux valeurs de l’Islam. »
[6] L’article 21 de l’Ordonnance n°2006-017 prévoit toujours l’interdiction de journaux ou écrits périodiques étrangers « lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’Islam ou au crédit de l’État, à nuire l’intérêt général, à compromettre l’ordre et la sécurité publics. » L’article 33 sanctionne « de cinq ans d'emprisonnement et de 5 000.000 UM d'amende ceux qui, […], auront directement provoqué, les crimes contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État » et l’article 34 prévoit que « [t]oute provocation […] adressée à des militaires ou des agents de la force publique, dans le but de les détourner de leurs devoirs et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs sera punie d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 UM. »
[7] Voir Journal officiel de la République islamique de Mauritanie n° 1467.
[8] Rapporteuse spéciale sur la liberté d'opinion et d'expression, Communication n° OL MRT 4/2020, 19 juin 2020.
[9] Avant le vote, des membres de l'opposition ont fait part de leurs préoccupations concernant le projet de loi, tandis que l'Union des journalistes mauritaniens a appelé le gouvernement à modifier le projet. Voir Journal officiel de la République islamique de Mauritanie n°1499 du 15 décembre 2021, disponible ici : https://www.msgg.gov.mr/sites/default/files/2022-04/J.O.%201499F%20DU%2015.12.2021%20V%20A.pdf (consulté le 17 juin 2025).
[10] Pour plus d’information, voir MENA Rights Group, Nouvelle loi sur la protection des symboles nationaux : une menace pour la liberté d’expression sur les réseaux sociaux en Mauritanie, 2 décembre 2021, https://menarights.org/en/articles/nouvelle-loi-sur-la-protection-des-symboles-nationaux-une-menace-pour-la-liberte (consulté le 17 juin 2025).
[11] Compte Facebook de Claudy Siar, Le concert du groupe de rap mauritanien à Nouakchott Diam Min Tekky annulé, 11 mars 2022, https://www.facebook.com/watch/?v=4936506323109026 (consulté le 17 juin 2025).
[12] Jeune Afrique, Mauritanie : l’internet mobile coupé après des contestations de la présidentielle, 2 juillet 2024, https://www.jeuneafrique.com/1583700/politique/mauritanie-linternet-mobile-coupe-apres-des-contestations-de-la-presidentielle/ (consulté le 17 juin 2025) ; Access Now, After 22 days of internet shutdown, the government of Mauritania must commit to #KeepItOn at all times, 31 juillet 2024, https://www.accessnow.org/press-release/mauritania-must-keepiton-at-all-times/ (consulté le 17 juin 2025).
[13] Access now, Tell MENA authorities: #NoExamShutdown, 2023, https://www.accessnow.org/campaign/no-exam-shutdown-2023/ (consulté le 18 juin 2025).
[14] Mentionné dans Human Rights Watch, Mauritania's campaign of terror, State-sponsored repression of black africans, Avril 1994, https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/MAURITAN944.PDF (consulté le 17 juin 2025).
[15] Recommandation ayant recueilli l’appui de la Mauritanie, qui considère qu’elles ont déjà été mises en œuvre ou sont en voie de l’être : 127.25 (Kenya).
[16] RFI, « La nomination d'un général mauritanien à la tête de la task force de la Minusca fait polémique », 25 septembre 2021, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210924-la-nomination-d-un-g%C3%A9n%C3%A9ral-mauritanien-%C3%A0-la-t%C3%AAte-de-la-task-force-de-la-minusca-fait-pol%C3%A9mique (consulté le 17 juin 2025).
[17] RFI, « Mauritanie: le nouveau président de l'Assemblée nationale suscite la polémique », 20 juin 2023, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230620-mauritanie-le-nouveau-pr%C3%A9sident-de-l-assembl%C3%A9e-nationale-fait-pol%C3%A9mique (consulté le 17 juin 2025).
[18] Comité des disparitions forcées, Observations finales concernant le rapport soumis par la Mauritanie en application de l’article 29 (par. 1) de la Convention, 29 septembre 2023, UN Doc. CED/C/MRT/CO/1, § 23.
[19] Ibid, § 31.
[20] Recommandations n’ayant pas recueilli l’appui de la Mauritanie : 130.91 (Chad).
[21] Comité des droits de l’homme, Observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le deuxième rapport périodique de la Mauritanie, 19 juillet 2019, UN Doc. CCPR/C/MRT/CO/2, § 32.
[22] Comité des disparitions forcées, Observations finales concernant le rapport soumis par la Mauritanie en application de l’article 29 (par. 1) de la Convention, 29 septembre 2023, UN Doc. CED/C/MRT/CO/1, § 43.