Algérie : Analyse de la loi modifiant et complétant la loi relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

April 20, 2023

Le 27 novembre 2022, la commission des Affaires juridiques, administratives et des libertés de l'Assemblée populaire nationale (APN), a examiné les dispositions du projet de loi modifiant et complétant la Loi n° 05-01 du 6 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La loi a finalement été présenté à l’Assemblée en séance plénière le 20 décembre 2022 . À cette occasion, le Ministre de la justice a souligné que « ce projet s'inscrit dans le cadre de la mise en adéquation de la législation nationale avec les nouveautés internationales et l'adaptation du Système juridique national aux traités et conventions ratifiés par l'Algérie ». Le 7 février 2023, le président de la république a promulgué la Loi n° 23-01 modifiant et complétant la Loi n° 05-01 du 6 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle est désormais inscrite au Journal officiel de la république algérienne. Cette loi contient notamment des dispositions précisant la portée des actes terroristes et punissant les activités opérées en lien avec ces actes. Cette loi comporte plusieurs dispositions, détaillées dans la présente analyse, qui sont contraires aux normes inscrites dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par l’Algérie en 1989, notamment dans le cadre du respect du droit à la liberté d’association ainsi que du droit à la liberté d’opinion et d’expression.

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1. Législation algérienne relative au terrorisme

Le droit algérien comporte une définition particulièrement étendue des actes terroristes. En effet, la définition de l’acte terroriste tel que défini à l’article 87 bis du Code pénal a la teneur suivante :

Est considéré comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de :

— semer l’effroi au sein de la population et créer un climat d’insécurité, en portant atteinte moralement ou physiquement aux personnes ou en mettant en danger leur vie, leur liberté ou leur sécurité, ou en portant atteinte à leurs biens ;

— entraver la circulation ou la liberté de mouvement sur les voies et occuper les places publiques par des attroupements ;

— attenter aux symboles de la Nation et de la République et profaner les sépultures ;

— porter atteinte aux moyens de communication et de transport, aux propriétés publiques et privées, d’en prendre possession ou de les occuper indûment ;

— porter atteinte à l’environnement ou introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol ou dans les eaux y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ;

— faire obstacle à l’action des autorités publiques ou au libre exercice de culte et des libertés publiques ainsi qu’au fonctionnement des établissements concourant au service public ;

— faire obstacle au fonctionnement des institutions publiques ou porter atteinte à la vie ou aux biens de leurs agents, ou faire obstacle à l’application des lois et règlements ;

— œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ;
 — porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit.

Suite à l’examen du quatrième rapport périodique de l’Algérie, le Comité des droits de l’Homme avait souligné dans ses Observations finales de 2018 que cette disposition pouvait permettre la « poursuite de comportements qui peuvent relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique[1]. »

Plus récemment et suite à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a estimé que la définition de « terrorisme » n’est pas en conformité avec les définitions du terrorisme avancées par le Conseil de sécurité et le mandat de la Rapporteuse spéciale[2].

La rapporteuse a également estimé que la formule « moyens non constitutionnels » introduite par l’Ordonnance n° 21-08 en 2021 pourrait avoir un impact nuisible sur les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, compte tenu du contexte socio-politique algérien actuel. Toute critique ou opposition au système de gouvernance tel qu’établi par la Constitution de 2020 pourrait potentiellement être soumise au champ d’application de cet article.

Ainsi, la rédaction actuelle de l’article 87 bis peut permettre aux autorités de poursuivre en justice sur des accusations liées au terrorisme des individus ayant commis des crimes non létaux. Cette myriade d’options énoncées par l’article 87 bis soulève de vives inquiétudes quant à leur nécessité et leur proportionnalité, et éloigne la législation nationale des principes de base contenus dans les traités internationaux sur le terrorisme, la résolution 1566 du Conseil de sécurité des Nations unies, et la définition modèle d’actes de terrorisme proposé par le mandat de la rapporteuse.

2. Nouvelles dispositions relatives à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

2.1 Élargissement de la définition du crime de terrorisme

L’article 11 de la Loi n° 23-01 introduit l’article 34 bis à la Loi n° 05-01 avec un paragraphe visant les actes constitutifs d’actes terroristes :

Est punie des peines prévues à l’article 87 bis 4 du code pénal, toute participation, association, conspiration, tentative, incitation ou complicité ou fourniture d’une assistance, d’une aide ou de conseils, en vue de commettre les actes cités à l’article 3 susvisé.

Nous sommes préoccupés par l’ampleur du nombre d’actes entrant dans le champ d’application de l’article 87 bis. De surcroît, nous craignons que l’absence de leur définition exacte ne permette aux autorités algériennes d’interpréter et d’appliquer cette disposition de manière arbitraire. En effet, cette liste d’actes s’inscrit dans le contexte large et imprécis de l’article 3 de la Loi n° 05-01, qui définit le financement du terrorisme, constitutif d’acte terroriste, comme tel :

Est considéré comme infraction de financement du terrorisme, au sens de la présente loi, tout acte par lequel toute personne, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds dans l'intention de les voir utilisés en tout ou en partie en vue de commettre des infractions qualifiées d'actes terroristes ou subversifs, faits prévus et punis par les articles 87 bis à 87 bis 10 du code pénal.

L’introduction de l’article 34 bis dans la Loi n° 05-01 a pour effet d’aggraver le caractère vague et indéterminé de la définition de l’acte terroriste tel que défini à l’article 3 de la Loi n° 05-01, passible d’une peine allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement lu conjointement avec l’article 87 bis 4 du code pénal. Dans la lignée des préoccupations soulevées par les procédures spéciales de l’ONU[3], nous craignons que ce paragraphe, en particulier le terme « association », ne soit employé afin de poursuivre des individus exerçant leurs droits fondamentaux tels que leur liberté d’association et leur liberté d’expression, garanties aux articles 19 et 22 du PIDCP.

2.2 Élargissement de la compétence des juridictions algériennes et application extraterritoriale de la loi

L’article 11 de la Loi n° 23-01 introduit l’article 30 bis dans la Loi n° 05-01 qui apporte des précisions quant aux actes terroristes pour lesquels les autorités algériennes sont compétentes :

— Les juridictions algériennes sont compétentes pour connaître des faits de financement du terrorisme :

— commis en Algérie même si l’acte terroriste a été commis à l’étranger ou que le terroriste ou l’organisation terroriste se trouve à l’étranger ;

— commis à l’étranger par un algérien ou un étranger, lorsque l’acte terroriste auquel le financement est destiné, est commis en Algérie ou lorsque le terroriste ou l’organisation terroriste auxquels les fonds sont destinés se trouvent en Algérie ;

— lorsque l’acte terroriste auquel est destiné le financement est commis contre les intérêts de l’Algérie à l’étranger ou que la victime de l’acte est de nationalité algérienne.

Au regard du dernier paragraphe de cet article 30 bis, précisément l’expression vague et indéterminée « contre les intérêts de l’Algérie », nous sommes préoccupés qu’elle ne soit appliquée de manière arbitraire par les autorités algériennes à tout individu exprimant son opposition au gouvernement algérien conformément à la liberté fondamentale de la liberté d’expression.

En outre, cette disposition s’ajoute à l’article 30 de la Loi n° 05-01, dont le texte est le suivant :

La coopération judiciaire peut porter sur les demandes d'enquête, les commissions rogatoires internationales, l'extradition des personnes recherchées conformément à la loi ainsi que la recherche et la saisie des produits du blanchiment d'argent et ceux destinés au financement du terrorisme aux fins de leur confiscation sans préjudice des droits des tiers de bonne foi.

Au vu de la coopération judiciaire consacrée par cet article, nous sommes préoccupés par le fait que le caractère vaste et imprécis de l’article 30 bis de la Loi n° 23-01 n’étende la poursuite d’actes terroristes de ressortissants algériens à l’échelle transnationale, notamment par le biais de demande d’extradition. En effet, nous craignons que la disposition susmentionnée ne soit employée pour restreindre les libertés fondamentales des défenseurs des droits algériens présents à l'étranger si les autorités considèrent qu'ils agissent « contre les intérêts de l’Algérie ».

2.3 Restriction des activités de la société civile

L’article 3 de la Loi n° 23-01 introduit l’article 5 bis 5 dans la Loi n° 05-01 qui a la teneur suivante :

— Les associations ou organisations à but non lucratif doivent adopter les règles de gestion prudentielles suivantes :

— s’abstenir de recevoir tous dons ou subventions dont l’origine est inconnue ou provenant d’actes illégaux ;

— s’abstenir de recevoir tous dons ou subventions considérés par la loi comme délit ou crime, provenant de personnes physiques ou morales ou d’organisations ou organismes impliqués, à l’intérieur ou hors du territoire de la République, dans des activités en rapport avec des infractions terroristes ;

— s’abstenir de recevoir tout argent en espèces sans autorisation préalable de l’autorité compétente, conformément aux dispositions prévues par la législation et la réglementation en vigueur.

Cette disposition soumettant les associations ou organisations à but non lucratif à des limitations fondées sur des termes vagues et indéfinis tels que des « infractions terroristes », nous craignons qu’elle ne contrevienne au principe de légalité auquel toute restriction au droit d’association doit être conforme.

Nous craignons que l’article 5 bis 5 de la présente loi, lu conjointement avec l’article 87 bis tel que modifié par l’Ordonnance n° 21-08, ne donne aux autorités compétentes un pouvoir discrétionnaire excessif, leur permettant d’employer cette disposition à l’encontre d’associations travaillant dans le domaine des droits humains ou sur des enjeux sociétaux jugés controversés par les autorités. Compte tenu des termes imprécis employés à l’article 87 bis, l’article 5 bis 5 risque d’entraver encore davantage les associations algériennes, les autorités pouvant aisément estimer qu’elles reçoivent des fonds provenant de personnes physiques ou morales impliqués dans des « infraction terroristes ».

Concernant les sanctions prévues en cas de violation de l’article 3 de la présente loi, l’article 11 de la Loi n° 23-01 introduit dans la Loi n° 05-01 l’article 34 bis 4 qui prévoit que « sans préjudice des autres peines prévues par la loi, la personne morale qui commet l’infraction de financement du terrorisme visée à l’article 3 ci-dessus […], est punie des peines prévues à l’article 18 bis du Code pénal ». Cet article prévoit notamment la dissolution de la personne morale[4]. Par ailleurs, cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 18 bis 3 lequel précise que :

lorsqu'il a été prononcé contre une personne morale une ou plusieurs peines complémentaires prévues à l'article 18 bis, la violation par une personne physique des obligations qui en découlent est punie d'un (1) an à cinq (5) ans d'emprisonnement et d'une amende de cent mille (100.000) DA à cinq cent mille (500.000) DA.

2.4 Autres restrictions de la liberté d’association

Les obligations prévues à l’article 5 bis 5 et les sanctions correspondantes inscrites dans le Code pénal s’ajoutent aux restrictions déjà existantes qui restreignent fortement le droit d’association en Algérie.

La Loi n° 12-06 relative aux associations prévoit qu’ « en dehors des relations de coopération dument établies », il est fait interdiction aux associations de recevoir des dons, des subventions ou tout autre contribution de toutes « légations ou organisations non gouvernementale étrangère », et que ces financements font l’objet de l’accord préalable de l’autorité compétente.

En outre, nous souhaitons rappeler que depuis 2020, l’article 95 bis du Code pénal punit « d’un emprisonnement de cinq à sept ans et d’une amende de 500.000 DA à 700.000 DA, quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics. La peine est portée au double, lorsque les fonds sont reçus dans le cadre d’une association, d’un groupe, d’une organisation ou d’une entente, qu’elle qu’en soit la forme ou la dénomination. »

De même que pour l’appellation d’ « infraction terroriste », le caractère général des termes employés à l’article 95 bis confère aux autorités un pouvoir discrétionnaire excessif leur permettant de poursuivre activistes et défenseurs des droits humains recevant des fonds étrangers, s’il est estimé que leurs activités de plaidoyer pacifiques constituent une atteinte au fonctionnement normal des institutions ou l’unité nationale[5].

3. Conclusions et requêtes

En vertu de ce qui précède, MENA Rights Group estime que les dispositions prévues dans la Loi n° 23-01 du 7 février 2023 modifiant et complétant la Loi n° 05-01 du 6 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont incompatibles avec plusieurs articles du PIDCP notamment l’article 19 (liberté d’expression) et l’article 22 (liberté d’association).

Par conséquent, nous recommandons aux parlementaires algériens de procéder à un réexamen de leur législation afin que les mesures encadrant la prévention et à la lutte contre le financement du terrorisme soient conformes aux libertés fondamentales notamment garanties par le PIDCP, instrument ratifié par l’Algérie.

Pour ce faire, l’État algérien devrait se fixer les objectifs suivants :

  • Réviser l’article 3 de la Loi n° 05-01, l’article 5 bis 5 de la Loi n° 23-01 et l’article 87 bis du Code pénal aux fins de définir avec précision les actes de terrorisme et s’assurer que les dispositions en lien avec la lutte contre le terrorisme ne sont pas utilisées pour limiter le droit d’association consacré à l’article 22 du PIDCP ;
  • Réviser l’article 30 bis aux fins de définir avec précisions les actes terroristes permettant aux autorités algériennes d’exercer leurs les compétences juridictionnelles à l’échelle transnationale ;
  • Réviser l’article 34 bis aux fins de définir avec précision les actes entrant dans le champ d’application d’actes terroristes.
 

[1] Comité des droits de l’Homme, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Algérie, 17 août 2018, CCPR/C/DZA/CO/4, § 17.

[2] Bien qu'il n'existe pas de définition universellement acceptée du terrorisme, le mandat de la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l'Homme dans la lutte antiterroriste a élaboré une définition modèle basée sur les conventions internationales et les résolutions des Nations Unies qui souligne que la définition du terrorisme et des crimes connexes doit être « accessible, formulée avec précision, non discriminatoire et non rétroactive ». Selon cette définition, pour qu'une infraction soit qualifiée comme un « acte terroriste », conformément aux bonnes pratiques du droit international, trois éléments doivent être cumulativement présents :

(a) les moyens utilisés doivent être mortels ;

(b) l'intention de l'acte doit être de susciter la peur au sein de la population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à faire ou à s'abstenir de faire quelque chose ; et

(c) l'objectif doit être de promouvoir un objectif idéologique.

[3] HCDH, Communication No. OL DZA 12/2021, 27 Décembre 2021, ERLINhttps://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=26905"https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadFile?gId=368\"https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadFil(consulté le 24 mars 2023).

[4] L’article 18 bis du Code pénal prévoit que : « les peines encourues par la personne morale en matière criminelle et délictuelle sont : 1- L'amende dont le taux est d'une (1) ‡ cinq (5) fois le maximum de l'amende prévue pour les personnes physiques, par la loi qui réprime l'infraction. 2 - Une ou plusieurs des peines complémentaires suivantes : - la dissolution de la personne morale ; - la fermeture de l'établissement ou de l'une de ses annexes pour une durée qui ne peut excéder cinq (5) ans ; - l'exclusion des marchés publics pour une durée qui ne peut excéder cinq (5) ans ;- l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée qui ne peut excéder cinq (5) ans, d'exercer directement ou indirectement, une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ; - la confiscation de la chose qui a servi à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit ; - l'affichage et la diffusion du jugement de condamnation ; - le placement, pour une durée qui ne peut excéder cinq (5) ans, sous surveillance judiciaire pour l'exercice de l'activité conduisant à l'infraction ou à l'occasion de laquelle cette infraction a été commise. »

[5] MENA Rights Group, En pleine pandémie, le gouvernement algérien durcit la législation pénale au détriment des libertés d’expression et d’association, 2 juin 2020, https://menarights.org/en/articles/en-pleine-pandemie-le-gouvernement-algerien-durcit-la-legislation-penale-au-detriment-des (consulté le 29 mars 2023).

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